Affaire Leonarda:Quelle politique migratoire pour l'UE?

Version imprimableVersion imprimable

L'affaire Leonarda,les naufrages en Mediterrannée,de bateaux d'émigrants du Sud tentant de rallier l'Union Européenne,l'attaque par les candidats à l'immigration,des grilles séparant  les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla du continent africain,soulignent la violence psychologique et physique dans laquelle s'inscrit le flux migratoire à destination de l'Europe.

Des flux de migrants tentent par la force-ou pour l'affaire Leonarda par les moyens juridiques suite à une reconduite dans son pays d'origine- d'entrer en Europe.

Ces événements qui font la Une des journaux sont la conséquence de l'absence d'une veritable politique migratoire européenne,en tout cas d'une politique migratoire européenne digne de ce nom c'est à dire respectueuse des principes européens.Les flux de migrants à destination de l'Europe ne sont pas pacifiquement régulés.

Comment l'UE en est-elle arrivée là?

Pour le comprendre,il faut d'abord souligner que l'existence d'une politique migratoire européenne n'était pas dans un premier temps,obligatoire:d'ailleurs les Traités de Rome  de 1957 ne la prévoit pas.Mais cette politique est devenue indispensable comme conséquence d'une part de la disparition des frontières internes à l'UE:comment en effet avoir des flux aux mouvements acceptables par chacun des Etats des lors que l'on est dependant ce ce qui se passe dans l'Etat voisin avec lequel vous n'avez plus de controles aux frontières,sauf à ce que ce dernier pratique la meme politique migratoire que celle que vous memes pratiquez ? et d'autre part,du choc petrolier de 1974 puis de la quasi-stagnation économique de l'Europe,mettant fin aux flux migratoires de main d'oeuvre jusqu'ici encouragés. Or,les Etats membres de l'UE n 'ont à l'heure d'aujourd'hui été capables ni de définir une politique migratoire commune achevée,ni meme de faire respecter à la frontière extérieure de l'UE les éléments constitutifs d'une ébauche de politique migratoire commune.

Le premier point est donc d'examiner le pourquoi d'une incapacité des Etats membres à se forger une doctrine commune complete en matiere de politique migratoire,ensuite,si tenté qu'une politique migratoire commune puisse exister,de mesurer quels seraient les moyens appropriés à sa mise en oeuvre.

L'existence d'une politique migratoire commune est,en apparence,problematique compte tenu d'une part des différences d'approche des Etats,du point de vue des principes sous-tendant ce que pourrait etre une politique migratoire commune,d'autre part des bilans avantages-couts de l'immigration que chacun d'entre eux peuvent faire.

Une analyse approfondie montre cependant que d'une part les principes communs propres à sous tendre une politique migratoire sont en réalité  largement partagés par les différents Etats européens soit que ces principes appartiennent aux principes généraux résultant des grands textes à caractère humaniste auxquels l'Europe a de fait dejà adhéré,soit qu'il s'agisse de principes dejà formellement adoptés par l'UE depuis le debut des années 90.

L'absence de politique migratoire européenne est en fait d'abord  la conséquence d'une crispation des Etats sur leurs droits régaliens(Notamment:l'Etat nation doit pouvoir décider qui entre et qui sort de son territoire),chaque Etat n'ayant pas confiance quant à une application par les Etats qui l'entourent d'une politique dont il aurait par ailleurs approuvé les principes.

Elle est ensuite la conséquence d'une analyse insuffisante des causes et conséquences des mouvements migratoires vers l'Europe et donc d'une prise en compte de la totalité de ces éléments pour fonder une politique migratoire cohérente.

La conséquence finale est aujourd'hui une politique migratoire "européenne" pénalisante pour l'Europe(comme pour les pays d'origine),tant en termes économiques qu'en termes d'image.Il y a donc urgence à fonder une polique migratoire repensée et rationnelle,synthèse des interets économiques européens,et respectueuse des  principes auxquels l'Europe  depuis longtemps adhéré,ces deux objectifs étant paraléllement tenables.

 

L'Europe,dans le passé globalement terre d'émigration,est sur les vingt dernieres années(1990-2010) au contraire  devenue l'une des premieres destinations des flux migratoires.Deux causes de l'attrait pour l'Europe dominent:d'une part l'écart de niveau de vie avec de nombreuses régions du monde y compris les régions limitrophes(Maghreb,Moyen Orient),d'autre part la démocratie  qui fonde son organisation politique.Ces deux caractéristiques en font une cible de destination avec une motivation à caractère économique  et de respect des droits politiques.

A ces deux facteurs de séduction s'ajoutent des données facilitantes:premièrement l'Europe est,géographiquement, facile d'acces:par terre ,mer;air:les points d'entrée sont multiples,les voies de communication nombreuses.Et,le candidat à l'immigration sait aussi qu'il lui suffit d'entrer dans n'importe quel point de l'Union Européenne car à l'intérieur de celle-ci,il sera libre de se déplacer sans contrainte puisque les frontières entre pays n'y existent plus.Deuxièmement,l'Europe est une terre de langues comprises par de nombreux autres pays:les médias européens sont écoutés et compris par de nombreux pays ou régions limitrophes ou ayant appartenu  aux empires coloniaux européens(France,Grande Bretagne) :les images et les commentaires exportent un mode de vie qui séduit et l'on peut s'y faire comprendre.Troisièmement,enfin,les liens historiques avec les pays européens ont crée  des présences familiales en Europe qui constituent ainsi des "points de chute".

A ces facteurs structurels peuvent s'ajouter une ou des politiques menées par l'UE ou par certains de ses Etats membres,soit pour attirer les migrants,soit,au contraire, pour dissuader les mouvements migratoires vers l'UE.

Les motifs propres à encourager les flux entrants sont divers:soutenir la démographie,attirer des étudiants qui formés chez soi porteront ultérieurement le flambeau économique et culturel du pays,combler des déficits de qualifications dans tels ou tels métiers.

Du coté des raisons qui poussent à limiter les flux de migrants figure en bonne place la situation économique globale difficile de l'UE notamment caractérisée  par une poussée du chomage à l'origine de l'hostilité croissante des opinions publiques européeennes à accepter de nouveaux arrivants soupconnés de prendre le travail des nationaux.

Dans ce contexte d'une part la politique migratoire européenne,d'émergence récente(les traités de Rome de 1957 n'intégrent pas d'engagement dans ce domaine) reste embryonnaire.Jusqu'en 1973,il n'existe pas de politique migratoire européenne,chaque Etat de la Communauté assurant la gestion de ses flux migratoires.Ainsi en France ou la responsabilité en est assurée par l'Office National de l'Immigration.La crise pétrolière de 1974 qui induit le développement d'un chomage croissant incite alors les Etats à mener des politiques d'immigration restrictives afin de réserver les emplois aux nationaux,ce dans un contexte ou le developpement de regime autoritaires en Asie du Sud Est et au Chili poussent au contraire les migrants vers l'Europe,devenue leur premiere destination.L'achevement du marché intérieur européen incluant la libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté Européenne,induit alors la nécessité d'une politique européenne migratoire sauf,soit à ne pas faire bénéficier de la liberté de déplacement au sein de la communauté les ressortissants des pays tiers,soit à laisser aux Etats disposant des frontières extérieures de la Communauté la maitrise des flux migratoires.

Dans un premier temps la forme de la politique mise en oeuvre est une coopération inter-gouvernementale, se situant soit hors du cadre communautaire,soit dans le cadre communautaire.Hors du cadre communautaire,l'étape principale est l'accord de Schengen adopté le 14 juin 1985 par cinq Etats(France,Allemagne et les trois Etats du Benelux),dont l'objet est une harmonisation des regles d'obtention des visas,un renforcement de la coopération douanière et policière pour lutter contre les entrées irrégulieres,un mode de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile.Dans le cadre communautaire,c'est la signature de l'Acte Unique européen qui exclut du champ des décisions à majorité qualifiée la libre circulation des personnes,qu'il s'agisse de ressortissants des Etats membres ou de pays tiers(les décisions ne peuvent donc etre prises qu' à l'unanimité des Etats),c'est aussi la création de multiples groupes inter-gouvernementaux de coopération pour lutter contre le terrorisme,pour définir une politique commune de visas,pour renforcer le controle aux frontières extérieures,pour enfin  définir des procédures simplifiées d'examen des demandes d'asile.

Cette coopération intergouvernementale,incapable d'aboutir sur une convention relative au franchissement des frontières extérieures de la Communauté(opposition Royaume-Uni-Espagne à propos de Gibraltar),confrontée à un regain de tension migratoire résultant de l'effondrement de l'Union Soviétique et à l'élargissement  allemand,affiche au début des années 90, ses limites:l'immigration économique n'est pas quantitativement  maitrisée alors qu'en meme temps,les pénuries de main d'oeuvre dans les secteurs ou le travail est pénible ,irrégulier, mal payé et non délocalisable persiste;le regroupement familial ainsi que le droit d'asile alimentent les flux migratoires ces deux modalités protégées par des principes juridiques imposés soit par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales(art 8) pour la premiere,soit par le principe de non refoulement des personnes craignant des persécutions ou des mauvais traitements(auquel ont souscrit les Etats membres) devenant les deux voies privilégiées d'entrée dans la Communauté.

Le relatif echec inter-gouvernemental conduit les Etats membres à renforcer la communautarisation de la politique migratoire sans que les résultats s'avèrent finalement meilleurs.

En réalité,définir une politique commune à l'ensemble des Etats membres supposerait des situations proches par rapport aux flux migratoires.Ce qui n'est pas le cas:meme si l'approche de principe par rapport à l'immigration peut etre proche,les situations économiques et démographiques sont selon les Etats sont trop différentes pour fonder une politique migratoire commune.

Différences de situations en termes de poids des immigrés sur leurs territoires,différence de conception dans ce que doit etre l'intégration des étrangers(de l'assimilation à la française aux communautés juxtaposées du monde anglosaxon),différence de besoins pour soutenir la démographie dans les années qui viennent:les situations sont si diverses que

définir une politique migratoire commune n'aurait ,au-delà des principes,guère de sens.

Et de fait,dépourvue d'ambition,inapte à fédérer les interets différenciés des Etats qui la composent elle a ,apres avoir posé un certain nombre de regles de base ,aujourd'hui largement passé la main aux Etats qui entendent garder prise sur ce domaine.Les Etats de l'UE pratiquent ainsi chacun une politique migratoire obeissant ,en apparence,à certains principes partagés(européens ou plus largement issus des institutions de la communauté internationale) avec une pratique qui d'une part se revele etre généralement assez éloignée des principes affichés et qui d'autre part semblant répondre à leurs interets économique et politique spécifiques est en réalité le reflet d'un manque d'analyse sérieuse de ce que pourrait etre une politique migratoire optimisée pour le pays.

La politique migratoire européenne comprend deux volets:d'une part la gestion de la frontiere extérieure de l'Union Européenne,d'autre part le Droit d'asile.

Les conditions d'entrée dans le territoire de l'UE sont définies par l'"acquis" de Schengen qui comprend les accords de Schengen(14 juin 1985),sa convention d'application(Convention Schengen 19 juin 1990) et des mesures de mise en oeuvre afin,d'une part,d'harmoniser les controles aux frontières extérieures de l'UE,d'autre part de renforcer la coopération judiciaire et policière entre les Etats membres.L'acquis de Schengen initialement adopté dans un cadre non communautaire(5 Etats avaient a l'origine signé les accords de Schengen:Les trois Etats du Benelux,L'Allemagne et la France)a été intégré dans le cadre de l'UE par un protocole annexé au Traité d'Amsterdam(1999).

Ces différentes causes ou politiques sont à la source d'un mouvement migratoire puissant qui assure aujourd'hui un solde migratoire net annuel moyen d'environ 850 000 personnes entrant dans l'UE  et est à l'origine d'un poids d'étrangers (au sens francais du terme c'est à dire le non national au sens du droit de la nationalité)significatif mais différent selon les pays:6% du total des habitants de l'UE à 27(30 millions sur 502.5 millions) mais 8.6% en Allemagne(7 millions sur 81.7 millions),6.8% au Royaume-Uni(4.3 sur 62.4),5.6% en France(3.7 sur 66 millions).

 

Definir une politique migratoire pour l'UE est à la fois nécessaire et complexe.Nécessaire d'abord par interet dans la mesure ou le vieillissement de la population de la plupart des pays européens confère à l'immigration  la capacité à éviter un déclin démographique.Ensuite par nécessité géographique puisque,de fait,quatre pays sont les localisations de destination:Allemagne,Espagne,Italie,Grande-Bretagne et France,et que ces quatre pays doivent donc coopérer avec ceux des pays de l'UE par lesquels les flux migratoires entrent en Europe.

La politique  migratoire européenne dont l'objectif est de "réguler de manière efficace les entrées de ressortissants de pays tiers au sein des Etats membres au regard du motif de leur venue puis de définir les conditions de leur séjour et de leur intégration sociale"(La politique migratoire de l'Union Européenne" Corinne Balleix La documentation française 2013)est récente:Apres une période pendant laquelle les Etats ont agi séparement(les Traités deRome de 1957 ne contiennent pas de regles relatives à l'immigration en provenance des pays tiers et chaque Etat n'avait pas,à l'époque ,l'intention de renoncer a la capacité régalienne de décider des regles d'accueil ou de rejet des personnes en provenance d'Etats tiers),des actions définies par plusieurs Etats d'abord dans un cadre intergouvernemental puis dans le cadre de la Communauté Européeenne( 1997 ,Traité d'Amsterdam) n'interviennent qu'à partir des années 1970.

Le contenu de la politique migratoire de l'UE comprend deux aspects principaux:premierement,un principe,celui de la libre circulation à l'intérieur des pays de l'UE pur les ressortissants des pays tiers.Deuxiemement une politique de droit d'asile.

Ces deux actions politiques ont aujourd'hui des resultats discutables qui amenent les pays membres à aujourd'hui réévaluer les modalités de la politique migratoire de l'UE.

 

Jusqu'en 1975,le mouvement migratoire à destination de la France est principalement une migration de main d'oeuvre.Apres le choc petrolier,ce mouvement se diversifie avec le developpement de l'immigration familiale.

Cette derniere favorise naturellement la constitution d'une population de descendants d'immigrés,laquelle a en France un poids dans l'ensemble de la population parmi les plus élevés

d'Europe.Cette population de descendants d'immigrés a des conditions de vie inférieures à la moyenne de la population,résultantes, en particulier d'un acces plus difficile à l'emploi que le reste de la population,difficulté que n'explique qu 'en partie un niveau de formation inférieur.Ainsi le niveau de vie médian des personnes vivant dans un ménage immigré  est de 30% inférieur à celui de l'ensemble de la population.Cet écart se réduit cependant à 12% pour les descendants d'immigrés.

Entre 2004 e 2008,le flux migratoire vers les pays de l'UE pour s'y installer a été de 3.5 millons de personnes.Dans ces 3.5 millions,il y a parité entre origine UE et origine extra-UE.

Au total les personnes nées à l'étranger et résidents en France sont 7.1 millions,soit 11% de la population totale.A comparer avec 11.6% pour l'Allemagne,11.0% pour la Grande Bretagne,13.8% pour l'Espagne,7.3% pour l'Italie.

Pour accéder à l'intégralité de ce contenu, veuillez vous
.