Allemagne-France:Les causes du décrochage Francais

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France-Allemagne : La compétition économique est plus que jamais engagée : Pour deux raisons ; d’abord par éternelle rivalité entre les deux puissances ; ensuite parce que leur relative équivalence en termes de poids économique est désormais la clé d’un équilibre de l’Union Européenne.

Or plus que jamais la France est décrochée : Ecart de PIB de 30% en faveur de l’Allemagne ; Balance extérieure excédentaire de plus de 200 milliards d’euros pour l’Allemagne, lourdement déficitaire de  plus de 70 milliards pour la France ; taux de chômage de plus de 10% pour la France, de moins de 6% pour l’Allemagne.

Des conditions économiques et des atouts comparables et pourtant les résultats économiques des deux pays sont aux antipodes.

Il faut donc s’interroger : quels sont les causes d’un tel décalage ?quels sont les facteurs qui expliquent ces écarts ?

Plusieurs éléments de différenciations existent qu’il faut citer avant d’examiner quelles peuvent être les réponses de la France pour se remettre en selle dans la compétition économique avec son voisin d’outre-Rhin.

Première différenciation :La structure des organisations patronales allemandes :par branche et scindées entre d’une part un organe en charge des relations sociales et de la négociation des conventions collectives avec les syndicats d’autre part un autre organe en charge de la négociation des normes,reglementation,lobbying auprès des pouvoirs publics, organisation de la coopération interentreprises dans les domaines plus techniques auprès des pouvoirs publics, organisation de la coopération interentreprises dans les domaines plus techniques.

Deuxième  atout allemand: Le consensus sur certaines règles du jeu :

L’’entente entre Entreprises est un élément positif, en tout cas admis (on n’a pas l’héritage français du combat contre les corporatismes, les entreprises qui s’entendent) d’où notamment possibilité qu’aux négociations les entreprises aient des représentants communs ; d’où aussi la mutualisation des moyens interentreprises (grosses PME au sein du VDMA secteur des biens d’équipements par exemple).

.Deuxième consensus partagé : Le combat contre l’inflation ; ce consensus conditionne notamment les augmentations salariales.

.Troisième donnée fédérante : Chacun est d’accord sur l’idée que l’Etat laisse le champ libre à la négociation (c’est l’ordoliberalisme).

.Quatrième élément : l’Entreprise n’appartient pas qu’aux actionnaires : elle appartient aussi aux salariés, ce qui impacte fortement la gouvernance des entreprises allemandes : cogestion ou « codétermination » y existe. Au contraire de la gouvernance des Entreprises françaises caractérisée par la non association des salariés aux décisions, et à l’autoritarisme renforcé par le système des « Grandes Ecoles » et par la structure de conseil d’administration à la française qui concentre entre les mains d’une même personne tous les pouvoirs (Présidence du Conseil d’Administration et Direction opérationnelle de l’Entreprise).

.Cinquième vision partagée : Le diplôme ne fait pas tout ; d’où la possibilité d’ascension sociale pour les apprentis et une plus grande mobilité sociale de façon générale

 

.Sixième élément : les allemands attribuent une valeur sociale  nettement plus élevée que les français au travail industriel et plus généralement au travail manuel ; et les entreprises allemandes offrent aux apprentis (qui bénéficient de structures corporatistes) des perspectives professionnelles nettement meilleures qu’en France.

L’importance du système de formation et notamment la filière de l’apprentissage (même s’il est marqué aujourd’hui par une relative faiblesse de la demande des entreprises par rapport à l’offre)

Sur ces bases partagées, les allemands ont développé un Etat minimal :l’aversion des allemands vis à vis des hausses de dépenses publiques(ordo libéralisme) ;les allemands ont un emploi public très limité :en 2012 l’Allemagne ne consacre que 7.8% de son PIB à payer les salariés du secteur public(1.7 fois moins qu’en France et même 1.4 fois moins qu’au Royaume uni et aux Etats-Unis) ;une situation rendue possible par trois facteurs :d’une part la puissance des corporatismes qui gèrent largement par eux-mêmes l’organisation sociale des entreprises, des mutualisations d’investissements interentreprises, quelquefois même jusqu’aux prix de vente du secteur; d’autre part un développement économique relativement équilibré entre les Land qui réduit la nécessité d’une redistribution horizontale, apanage de l’Etat(à la différence de la France ,pays beaucoup plus centralisé, polarisé) ;enfin, pour des raisons historiques par un effort de défense beaucoup plus limité que dans les pays similaires(France, Royaume Uni).

Avec l’inconvénient d’un déficit d’investissement dans les structures purement collectives (crèches, infrastructures routières, bâtiments publics etc.) qui a des conséquences négatives notamment sur la démographie du pays et donc sur sa puissance à venir.

L’importance des salariés au sein des organes de décisions des Entreprises allemandes.

L’intervention minimale de l’Etat allemand dans le domaine du droit du travail.

L’importance des capitaux allemands dans les grandes Entreprises allemandes.

La création de liens entre Entreprises et Université notamment dans le domaine de la recherche développement

Banque industrie allemande  en voie de disparition :banques allemandes souvent à la fois prêteuses aux entreprises et présentes au capital de ces dernieres,directement ou indirectement(via la représentation de l’actionnariat individuel) ;avantage :moindre courttermisme des investissements ;inconvénients :moindre rigueur de sélection des projets par les banques, dans la mesure ou un faible retour sur investissement pour l’entreprise(et donc en dividende) était compensé par une croissance des revenus bancaires liés à l’endettement.

Mais deux facteurs ont réduit l ‘importance de la liaison privilégiée banque-industrie :La mondialisation qui a  impliqué une diversification des  sources de financement(notamment mise en bourse impliquant la recherche de frais financiers optimisés) et entrainé l’apparition de nouveaux partenaires au sein des conseils d’administration ;les scandales de la banque industrie ensuite qui ont mis en cause la pertinence du modelé(affaire  Mittellgesellschaft) :D’une part, une loi de 1998 sur la « transparence et le contrôle des sociétés » a retiré aux banques le droit de représenter aux AG des sociétés leurs clients particuliers titulaires de titres des sociétés, sauf à ce que ces particuliers leurs en aient donné mandat exprès implique un recul de fait du poids des banques dans les votes aux AG ;d’autre part, une loi de 2002 baisse fortement les impôts sur plus-values de cessions des titres de participations, donnant l’opportunité  aux banques de céder avec forte plus-values nettes d’impôt leurs participations historiques souvent sous-évaluées dans leurs comptes. Le désengagement des banques s’est ainsi produit, quelquefois relayés mais pas toujours de façon heureuse par les Land.

Si bien que si les capitaux familiaux continuent à jouer un rôle important dans la direction de certaines grandes Entreprises allemandes (VW, Bertelsmann, Bosch…), en revanche la liaison banque industrie s’est largement effacée.

Autre facteur de différenciation par rapport à la France :la limitation de l’inflation, qui fait consensus en Allemagne sous l’effet d’un triple malheureux souvenir :l’hyperinflation des années 1920 qui fait suite à l’instauration des réparations gigantesques imposées par le traité de Versailles(1919) et les deux remises à zéro des valeurs de patrimoine  accompagnant l’instauration du Rente mark(1923) puis du Deutsche Mark(1948) donnant un coup d’arrêt à cette inflation :Cette allergie à l’inflation s’est traduite par la création d’une institution de gestion de la politique monétaire indépendante du pouvoir politique :la Bundesbank(1957)et ,en conséquence d’un taux d’inflation significativement plus faible qu’en France pendant plusieurs périodes(+2.6% dans les années 60 contre 4.2% en France,+5.1% dans les années 70-années du choc pétrolier- contre +8.6% en France )

Cette modération du taux d’inflation conjuguée à un contexte de négociation de branche, a évité une course poursuite entre inflation et hausses salariales  comme celle observée en France et par conséquent une compétitivité cout renforcée pour l’Allemagne et son industrie en particulier.

Car, en effet, en Allemagne les représentants de branche du patronat négocient souvent pour plusieurs années (2-3 ans) avec les syndicats des accords de branche : et pendant toute la durée de validité de ces accords, les conflits sociaux sont interdits dans les entreprises couvertes par l’accord.

Et ce mode de négociation est d’autant plus crédible que la « variable » inflation est maitrisée.

Les limites : certes l’économie allemande va mieux depuis l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel mais elle ne va guère mieux aujourd’hui qu’avant l’arrivée au pouvoir de Gerhard Schroder :              Coté emploi : multiplication des mini jobs (quelques heures par semaine salaire de moins de 400 euros par mois) : en mars 2012 :4.8 millions de personnes occupent exclusivement ce type d’emploi (qui sortent des statistiques du chômage)

Mais en parallèle : création entre 2006 et 2012 de 2.8 millions « vrais » emplois (mais ce ne fait que revenir avec 29 millions de vrais emplois au total qu’à la situation de 2000 !).

La rémunération réelle du salarié allemand (hors inflation) a commencé à s’améliorer sous Merkel sans pour autant en 2012 retrouver son niveau de 2000 !

En fait, les succès actuels tiennent surtout à des facteurs externes ou non liés aux politiques des deux importances des chancelier (e)s successifs :

Avantages provisoires du vieillissement de la population :la population allemande âgée de 15 à 64 ans a diminué de 1.7 million entre 2000 et 2012 alors qu’elle s’est accrue de 2.8 millions en France :combinée avec l’importance des petits boulots :expliquent baisse du chômage et aussi de l’immobilier et cette faiblesse du cout immobilier a aussi fortement pesé sur les couts des entreprises via la modération salariale dans la mesure ou l’argument de hausse des salaires pour accompagner la hausse des couts immobiliers n’existe pas :en 1999 le prix du poste logement gaz eau électricité était en moyenne de 18% supérieur la moyenne de la zone euro ;en 2011 il est inférieur de 1%(contre +12% en France).

Le recul de la population allemande a donc fortement contribué à la modération salariale. Mais les inconvénients du vieillissement démographique commence à se faire sentir alors que l’immigration ne peut vraisemblablement pas être un substitut complet compte tenu des difficultés d’intégration rencontrées et du clivage qui s’est créé entre Allemagne et pays du Sud de l’Europe quant à la position rédige de l’Allemagne eu égard au respect des politiques d’austérité dans ces pays(et faire appel aux jeunes des pays comme Italie, Espagne, Grèce reviendrait à faire un holdup up sur des investissements éducatifs que ces pays ont consenti alors que l’Allemagne ne l’a pas fait).

Avec la réunification, ouverture de nouveaux marchés non seulement  de l’ex RDA mais aussi de l’Europe Centrale et orientale(PECO, qui pèsent 101 millions d’habitants),zone d’influence ou de marchés traditionnels, dans lesquels les entreprises allemandes n’ont pas eu de peine à prendre une position dominante(notamment via les réseaux que l’ex RDA y avait tissé).Elles y ont notamment délocalisé leurs production de composants et sous-ensembles, renforçant ainsi leurs compétitivité couts.Ainsi,depuis 2005 les investissements allemands dans les PECO ont dépassé leurs investissements en France .

Et la France elle n’a pas cet Hinterland !

L’explosion de la demande des pays émergents : en 2012 les exportations allemandes hors de l’Union Européenne représentent 18% du PIB allemand pour 8.5% en 1995.Non pas que ces exportations aient été beaucoup plus facilité en Allemagne par une moindre hausse des couts salariaux qu’ailleurs en Europe ; mais plutôt par une spécialisation allemande particulièrement adaptée à la demande des pays émergents. Biens d’équipements et automobile. Ce n’est pas la taille moyenne des PME allemandes exportatrices qui expliquent fondamentalement leur succes, c’est leur spécialisation.

Les emplois français dans le secteur des biens d’équipements représentent aujourd’hui en Europe quatre fois moins que l’Allemagne (8% contre 33 % !).

La flexibilité du marché du travail : usage massif du chômage partiel : en 2009 au plus fort de la crise, l’Etat fédéral allemand y consacre 6 milliards d’euros contre 600 millions en France !conséquence de la « codétermination » et de l’importance des salariés dans la gouvernance des entreprises, qui a convaincu beaucoup d’entreprises de ne pas licencier.

La baisse des taux d’intérêts enfin qui a allégé considérablement les intérêts de sa dette. Et elle emprunte à cout quasi nul aujourd’hui.

A consulter sur tous ces points :Guillaume Duval :Made in Germany,le modèle allemand au-delà des mythes.collection Points.Edition du Seuil.

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